Je
suis né trop tard pour être Rahan, le fils des âges farouches,
Davy Crocket ou même Charles Bronson. J’aurais dû naître en
Alaska, vaincre mon premier grizzly au canif à 4 ans, devenir
éleveur de colibris en Islande et surfeur de vagues géantes pour
épater les otaries. Mais je suis né à Strasbourg, ce qui n’est
déjà pas si mal. J’ai élevé des chenilles urticantes, des
orvets, des larves de moustiques et des têtards sous l’œil
confiant de mes parents. A 8 ans, j’ai voulu sauter du grand
tremplin de saut à ski en Autriche, papa a hésité, maman a dit
non, je lui en veux encore. Et puis un jour mon cœur fait boum car
je découvre le Voyage au bout de la nuit de Louis Ferdinand Céline.
Et hop, ce sera la fac de lettres de Strasbourg. J’ai beaucoup
appris, voyagé et j’ai rencontré la femme de ma vie à la «
cafet » de la fac de lettres, romantisme absolu ! J’ai eu une 2CV
qui avait 16 trous dans le toit, une moquette rose au sol et une
moumoute assortie sur le volant. J’ai ensuite déménagé à
Mulhouse dans un immeuble plein de yorkshires et de sorciers. Mais
aujourd’hui, la gloire est proche car j’ai une petite fille
merveilleuse, un petit garçon-soleil et une voiture dans laquelle ma
2CV aurait pu rentrer. Pour les 243 prochaines années, je compte
apprendre à jouer de la batterie, pulvériser le record d’Usain
Bolt sur 200 m, retourner au Kirghistan, relire l’Histoire de Tönle
de Mario Rigoni Stern, construire 14 cabanes dans les arbres dans la
forêt de mon papa, voir une aurore boréale, manger un waterzoi,
écrire un roman traduit en estonien et assister à la disparition de
la bêtise arrogante. Mais je suis confiant, il y a de beaux enfants,
curieux aux yeux rieurs qui me donnent toujours envie d’enseigner.
(source Casterman)
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